Eco-pastoralisme et transition agro-écologique au Château Fontesteau

Le Château Fontesteau est un Cru Bourgeois du Haut-Médoc situé à Saint-Sauveur. Traversé par une jalle, le domaine de 100 ha exploite 20 ha de vignes sur un sol de sables éoliens en surface, sur agile puis roche calcaire. Bâti au XIIIème siècle, le château a été racheté par une famille allemande en 1997 qui démarre sa rénovation la même année. Le domaine sert aujourd’hui autant de propriété viticole que de lieu d’accueil et d’hébergement pour la clientèle.

Genèse du projet : écopastoralisme et agro-écologie

Depuis l’arrivée en 2016 de Julien Jonquet, son nouveau directeur technique, le vignoble est en pleine restructuration. Le domaine se convertit en bio en 2019 après avoir obtenu le label Haute valeur environnementale (HVE) en 2017. Dans cette perspective, le vignoble est passé de 30 à 20 hectares dans l’idée de « faire plus petit mais plus bon ». Les 10 hectares arrachés ont été convertis en prairies. Au-delà du travail sur les vignes, le nouveau projet porté par Julien Jonquet est de réinscrire le domaine et la production viticole dans « tout l’écosystème de Fontesteau ». L’introduction de l’écopastoralisme participe de cette transition agro-écologique du domaine qui se traduit en outre par la pratique de l’agroforesterie, une gestion durable de l’eau et de la forêt et la préservation de la biodiversité.

Constitution et entretien du troupeau

En 2018, Julien Jonquet contacte le Conservatoire des Races d’Aquitaine par l’intermédiaire de sa compagne en vue d’installer un troupeau. S’il n’a pas de formation d’éleveur, il apprend sur le tas. Le CRA lui propose d’abord d’installer un troupeau d’une douzaine de brebis landaises et un bélier qu’il change tous les ans pour la génétique. En passant par un des éleveurs fondateurs du CRA, il intègre dans son troupeau cinq brebis « Rouges du Roussillon ».

Sur les conseils de Jean-Pierre Dugat de la Chambre d’agriculture, il ajoute ensuite une dizaine de limousines, ces dernières apparaissent en effet adaptées à la végétation présente sur le domaine. Il prend aussi quelques « bib » (c’est-à-dire des bêtes qui ont été élevés au biberon) en partant du principe qu’elles seront plus faciles à déplacer même sans chien, ce qui s’avère vrai jusqu’à un certain seuil : « au début c’était bien, elles nous suivaient et le troupeau aussi mais arrivé à une quarantaine de bêtes c’est plus compliqué ».

Trois ânes sont également présents sur le domaine. Si les équidées contribuent eux-aussi à la gestion du domaine, ils servent également de protection contre les chiens errants en pâturant avec les brebis. Enfin ces animaux «attachants» participent, tout comme les moutons, au bien-être des équipes et des visiteurs par leur simple présence.

Le Château n’est pas propritéaire du troupeau. Celui-ci appartient, à titre personnel, à Julien Jonquet et ceci afin de simplifier les choses et de ne pas compliquer la labellisation HVE du domaine en le faisant entrer dans la catégorie élevage. L’intérêt personnel de Julien Jonquet pour les animaux, l’écopastoralisme et l’élevage, constitue une des motivations principales de l’installation du troupeau sur le domaine. Celle-ci a été grandement favorisée par le fait qu’il réside avec sa famille sur le domaine au quotidien : « c’est assez simple parce que moi j’habite sur place et quand je ne suis pas là, je demande à des amis de passer pour jeter un oeil ». Ce principe de solidarité entre voisins marche également dans les deux sens sachant qu’il a fourni quelques bêtes au Château Belgrave (où travaille aujourd’hui son ancien second à Fontesteau) où il place généralement les agnelles de l’année pour qu’elle ne soient pas prises trop tôt par le bélier et qu’il reprend ensuite.

La présence du troupeau permet de faire des économies en matière d’entretien mais leur prise en charge a néanmoins un coût. Même si l’objectif est de n’avoir recours qu’à la pâture et à l’émondage des saules et d’aulnes (trognes) présents aux abords de l’étang et du fossé central, des compléments alimentaires sont cependant nécessaires. Outre ces compléments, il a également fallu investir dans l’installation de barrières fixes et l’achat de barrières mobiles ainsi que du petit matériel comme un dérouleur/enrouleur (appelé «spider») pour faciliter leur mise en place. Il a également fallu «bricoler» une petite bergerie.

Diversification des races pour favoriser la vente de viande

Très sensible au bien-être animal, Julien Jonquet élève ses animaux en respectant le plus possible leurs besonis physiologiques : « cela fait partie de l’ordre des choses». Aussi, afin de rémunérer son travail, il vend ses agneaux en vente directe. Dans cette perspective, si les landaises ont l’avantage de leur rusticité, ce sont en revanche de petits gabarits qui donnent peu de viande. C’est pour cette raison qu’il a été choisi d’intégrer au troupeau des races qui ont des agneaux un peu plus gros, comme les Limousines par exemple. N’ayant pas d’abattoir à proximité, Julien Jonquet est obligé de prendre le bac pour se rendre à celui de Montguillon, en Charentes. Là-bas, il travaille avec un boucher qui récupère les carcasses et lui prépare les colis sous-vide. Comme de nombreux éleveurs du Médoc, il souhaiterait pouvoir bénéficier d’un abattage mobile mais comprend que c’est pour l’instant compliqué et coûteux à mettre en place.

Dessin : Rémy Bercovitz et Fabien Reix

Les bénéfices des brebis dans les vignes

Les brebis sont installées sur l’ensemble du domaine (prairies, sous-bois, garenne). Reste que l’objectif est qu’elles pâturent plus particulièrement dans les vignes. Ici, un premier passage est réalisé à partir de novembre et un second en mars afin de brouter les repousses hivernales. S’ils sont installés sur toutes les vignes du domaine, les animaux broutent préférentiellement les vignes larges d’un 1m80 d’espacement . Les brebis ont ici plus de facilité à se mouvoir et à se retourner. Mais même lorsque les vignes sont larges, il y a toujours «un peu de casse» au niveau des fils. Le passage des animaux est globalement bénéfique pour le vignoble. Cela crée notamment un « apport organique animal non négligeable » pour les sols. Cela permet aussi de faire des économies. Après leur passage, on se retrouve avec une herbe rase qui facilite le passage des outils. En réduisant les travaux du sol et des machines, on diminue le coût en gasoil. Enfin, lorsqu’elles passent dans les rangs, les brebis laissent de la laine sur le fil ce qui sert de répulsif naturel pour les cervidés qui sont nombreux dans les forêts avoisinantes peu chassées.

Regroupement du troupeau : des barrières et des chiens

Le parcours du troupeau est réalisé en fonction des impératifs de la production viticole et de la gestion du domaine. Il convient également de faire tourner régulièrement les animaux pour éviter les problèmes de vers. On comprend que les difficultés associées au regroupement et au déplacement du troupeau constituent la principale contrainte. Dans cette perspective, la disposition et l’installation des barrières est un enjeu de taille. Le système est ici fondé sur des barrières fixes qui servent de point d’appui pour créer les enclos temporaires fabriqués grâce à des barrières mobiles. Si ce système fonctionne assez bien en hiver quand le fourrage manque et qu’on peut « les appeler au grain », reste que quand l’herbe est appétente et abondante, il devient difficile de les déplacer. Dès lors, l’utilisation d’un chien de berger devient nécessaire. Julien a eu recours au service de l’association Medoc’laine pour trouver et former ses chiens. L’installation de barrières est enfin utile pour se protéger des chiens errants ou des chiens domestiques qui ne sont pas tenus en laisse. La présence de ces derniers est en effet importante à cause de l’existence d’un chemin rural qui traverse la propriété. Cette difficulté quotidienne impose de prendre des précautions et c’est pourquoi un panneau d’information et l’électrification des barrières ont été mis en place.

Les effets directement observables sur la biodiversité et le bien-être

Le changement de pratiques viticoles et l’installation du troupeau ont eu aussi un impact bénéfique sur la biodiversité présente sur le domaine. Les brebis ont eu un effet répulsif sur les cervidés, Julien Jonquet observe une présence accrue des hérons garde-boeuf qui ont l’intérêt de manger les escargots nuisibles pour la vigne. L’observation du retour de la loutre (par le biais de pièges photographiques) dans les eaux du lac est par ailleurs un signe tangible de l’amélioration de la qualité de l’eau sur le domaine. Depuis l’installation du troupeau, des changements au niveau de la flore sont observés : « elle est clairement plus diversifiée qu’avant ; avec le ray grass qui commence à revenir. On a aussi moins d’Erigerons dans les vignes parce que le sol est moins compact après le passage des brebis ». Un inventaire floristique et faunistique devrait voir prochainement le jour afin de mesurer l’effet du pâturage sur 10 ans.

En dehors des effets sur la biodiversité et l’activité viticole à proprement parler, la présence au quotidien des animaux a également favorisé le bien-être des équipes. On perçoit donc qu’au château Fontesteau, l’écopaturage n’est qu’une dimension d’un projet plus large fondé sur l’agroécologie et sur le bien-être consistant à recréer tout un écosystème vertueux. Julien Jonquet cherche en ce sens à dépasser le recours à l’écopaturage dans les vignes comme un simple argument marketing.

Texte : Rémy Bercovitz et Fabien Reix

En collaboration avec le PNR Médoc